Je vis mes derniers instants dans mon 26m², mes derniers jours, ces deux ou trois semaines. Je vis ces derniers moments et je ne sais pas ce que je ressens. De la peur, de la joie, de l’impatience, du mystère, de l’envie. C’est un peu tout mélangé, comme un conglomérat de sentiments. Des envies imprécises.
Je vais quitter cet endroit, qui n’a vu passer que trois hommes, des dizaines de soirées et quelques prises de tête et crises de larme. Je m’en vais, j’ai tellement attendu que j’ai du mal à croire que ça arrive. Je m’en vais et je ne vais pas me retourner.
Je vais quitter ma voisine, blonde russe et prostituée, accompagnée de ses deux braillards de chiens. Mon voisin du fond, celui qui invitait mes copines à attendre chez lui, a déjà déménagé. Il a dit « je n’en peux plus ». Oh si tu savais comme je te comprends.
Je m’en vais, quitter mon balcon sur lequel je ne mets jamais les pieds. Je n’ai que peu déménagé. Je ne suis pas angoissée, pas vraiment. Je regarde les murs, affiches, flyers, cartes postales, photos, billets, tout ça va, ça me suivre.
Mon appartement n’a plus de cafards. Au début, il y en avait tellement et ça me faisait tellement gamberger cette histoire de blattes, que j’en voyais partout, surtout quand il n’y avait pas. Je me couchais, y avait une vague lueur qui venait de la ville, du dehors de cette ville qui ne dort jamais, j’étais étendue. Je regardais les murs. Les murs blancs, et je voyais des points noirs, monter, descendre. Je cauchemardais. J’en sentais me monter le long des jambes.
Il n’y en avait pas, pas plus que sur mes murs. Je psychotais.
Y a eu les cafards, y en a plus. Y a eu les voisins, l’ascenseur, le store, le clic-clac et le réfrigérateur. J’ai survécu.
Je m’en vais et je ne pensais pas que j’y resterais presque 6 ans. C’est long. J’en ai fait un îlot au milieu du reste, du bruit et des gens. Un îlot isolé.
Je pense au moment de la dernière nuit.
Je me ferais un cappuccino ou un thé, y aurait plus rien sur les murs et des cartons dans le couloir. Je prendrais en photo l’espace, le carrelage abimé. Je garderais le store ouvert et la lumière éteinte. Ma tasse à la main, je regarderais cette luminescence bleutée, passer du gris clair au noir embrumé.
Je penserais « c’est terminé, c’est ta dernière nuit ici ». Je serais un peu mélancolique, nostalgique, forcément.
Je n’aime pas la ville et pourtant, il me semble qu’elle va me manquer.
Je claquerais la porte, sans me retourner.
En étant, pour une fois, certaine d’avoir fait le bon choix.
13 avril 2009
La nuit tombera. Et je n'aurais même pas peur.
Commentaires sur La nuit tombera. Et je n'aurais même pas peur.
- "J’en ai fait un îlot au milieu du reste, du bruit et des gens. Un îlot isolé".
J'ai beaucoup aimé ce passage
Moi, ça n'a rien à voir, mais quand j'ai quitté mon appart, là où j'étais à peine restée 10 mois, j'ai été très émue.
Ca va te faire bizarre...parce que t'es une fille sensible. Mais tu seras tellement mieux ailleurs! - Dans 3/4 semaines je vais vivre la même chose. Ca m'angoisse et m'excite à la fois. Mais je n'aurai pas trop le temps d'y penser, ce sera juste après mes épreuves Ton texte est très touchant. Ca me rend nostalgique.
6 ans dans 26m², jsais vraiment pas comment t'as fait. En 2 ans j'ai ammassé un bordel monstre.
En tout cas bon vent!
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Par contre, moi je n'ai tenu qu'une fois plus de 3 ans au même endroit ^^ Dont deux ans dans un 26m² lol!
Je te souhaite beaucoup de bonheur dans cette installation.
Bisous