La nuit
De la terrasse elle voit le ciel voilé, pas une étoile, que des nuages fins qui ont amenés la pluie. Ils sont enfin rentrés. La route du retour lui a paru durer une éternité. D'abord il y a eu la pluie, battante, violente, qui cognait si fort sur le pare-brise. Envoyant des gerbes d'eau de toutes parts, empêchant la vue à dix mètres devant, ils roulent au pas, un reste de fumée de cigarette flotte, les airs jazzy de Phoebe Killdeer résonnent dans l'habitacle. Puis la route de montagne dans le début de l'obscurité nocturne, les lacets, les lumières, de la pluie encore. Une file immobile devant eux, ils se rangent derrière une Twingo. Tout est figé. À cinq mètres droit devant ses yeux, il y a deux carcasses de voitures, fumantes. Elle voit bouger à l'intérieur, les secours ne sont pas encore arrivés. Il y a des gens arrêtés, des gendarmes, un corps immobile à l'avant, pendant, mou, comme si... Elle ne voulait pas voir mais son regard s'est heurté aux blessés. Elle n'aurait jamais regardé si elle avait su que c'était si frais... à peine ¼ d'heure, peut-être moins.
D'un coup il y a beaucoup de silence. Ils sont passés. Les yeux ouverts, les images s'impriment sur le paysage. Dans l'autre sens, les phares des voitures brillent, la file est immense, plusieurs centaines de mètres, peut-être un kilomètre.
Ça a un peu plombé l'atmosphère. On est obligé de penser que ça aurait pu être eux, nous.
Et à presque minuit, le brouillard qui s'est invité, en longues nappes opaques, bloquant la vision, l'œil ne rencontre qu'un gris uniforme. Sur les dernières dizaines de kilomètres, les plus longs, elle a lutté contre le sommeil pour ne pas le laisser seul dans la conduite.
Ils se sont endormis un peu après, le chat miaulait du balcon en regardant leur voiture se garer, la nuit est totale.