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Revoir un Printemps
27 avril 2011

La nuit

De la terrasse elle voit le ciel voilé, pas une étoile, que des nuages fins qui ont amenés la pluie. Ils sont enfin rentrés. La route du retour lui a paru durer une éternité. D'abord il y a eu la pluie, battante, violente, qui cognait si fort sur le pare-brise. Envoyant des gerbes d'eau de toutes parts, empêchant la vue à dix mètres devant, ils roulent au pas, un reste de fumée de cigarette flotte, les airs jazzy de Phoebe Killdeer résonnent dans l'habitacle. Puis la route de montagne dans le début de l'obscurité nocturne, les lacets, les lumières, de la pluie encore. Une file immobile devant eux, ils se rangent derrière une Twingo. Tout est figé. À cinq mètres droit devant ses yeux, il y a deux carcasses de voitures, fumantes. Elle voit bouger à l'intérieur, les secours ne sont pas encore arrivés. Il y a des gens arrêtés, des gendarmes, un corps immobile à l'avant, pendant, mou, comme si... Elle ne voulait pas voir mais son regard s'est heurté aux blessés. Elle n'aurait jamais regardé si elle avait su que c'était si frais... à peine ¼ d'heure, peut-être moins.
D'un coup il y a beaucoup de silence. Ils sont passés. Les yeux ouverts, les images s'impriment sur le paysage. Dans l'autre sens, les phares des voitures brillent, la file est immense, plusieurs centaines de mètres, peut-être un kilomètre.
Ça a un peu plombé l'atmosphère. On est obligé de penser que ça aurait pu être eux, nous.
Et à presque minuit, le brouillard qui s'est invité, en longues nappes opaques, bloquant la vision, l'œil ne rencontre qu'un gris uniforme. Sur les dernières dizaines de kilomètres, les plus longs, elle a lutté contre le sommeil pour ne pas le laisser seul dans la conduite.
Ils se sont endormis un peu après, le chat miaulait du balcon en regardant leur voiture se garer, la nuit est totale.

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Commentaires
L
Non pas encore de secouristes sur place, c'est ce qui me fait dire que a priori il venait "d'atterrir" quand on est passé. Ca doit être marquant puisque ça date de plus de 15 ans et que c'est toujours bien présent dans mon esprit...
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Z
Odyssee : non totalement réel... surtout quand on ne s'y attend pas, les images restent bien imprimées...<br /> Merci...<br /> <br /> Petite Conne : ah totalement, dès que j'ai vu, j'ai détourné les yeux, mais j'aurais pu voir plus ou pire, c'est évident. C'est assez spécial comme choc.<br /> <br /> Lord Arsenik : c'est assez horrible ce que tu racontes... même si on ne pouvait plus rien pour lui, je ne crois pas que j'aurais regardé cette scène avec indifférence. Il y avait les secours ou même pas ? ça aussi, ça doit être plutôt marquant.
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L
Alors que j'étais en vacances à Sydney il y a quelques années de ça je suis tombé sur une scène de suicide. Un gars venait de se jeter du toit d'un immeuble, il gisait sur le trottoir, désarticulé, dans une mare de sang.<br /> J'avais été surpris à l'époque par l'indifférence des gens, c'est à peine s'ils faisaient un écart pour éviter de salir leurs godasses... Tu me diras personne ne pouvait plus rien pour le pauvre bougre mais ça n'en restait pas moins dérangeant
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P
Ou comment tomber sur la violence d'une scène pourtant banale...ça arrive tous les jours, mais ce n'est pas tous les jours qu'on est aux premières loges. Quelque part, je me dis que vu le contexte, tu aurais pu voir pire... ce qui ne remet pas en cause ton trouble, bien sur.
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O
Je ne sais pas si c'est une fiction ou un moment que tu as vraiment vécu... toujours est-il que c'est un de ces moments que l'on garde longtemps dans le ventre. <br /> <br /> C'est l'empathie mais pas que. <br /> <br /> Ton texte est touchant.
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