A la lueur de nos amours
Je me sens presque comme si mon âme était détachée de mon corps. Je sens les cernes s'installer sous mes yeux, grandissants. Le sommeil ne me répare plus, je me réveille fatiguée. Je me sens vidée, de toutes substances. Entre les bruits du dessus et les cris du dessous, j'ai de plus en plus de mal à me sentir bien, chez moi. J'ai très fort l'envie de déménager et de m'éloigner de toutes ces vies, de tous ces gens trop prêts, ces étrangers qui vivent si proche de moi et qui n'ont pas de limites.
D'autant plus que le contexte autour n'est pas très reposant non plus. La tumeur de mon grand-père, après 6 mois de traitement n'a pas réduit. On ne nous dit rien. Ou on ne me dit rien. J'hésite. Je me fixe des barrières pour ne pas me laisser submerger par une immense tristesse. Je frôle l'indifférence, j'ai envie d'être en colère. Contre lui, qui ne se bat pas, qui ne lutte pas. Je n'ai plus envie d'aller le voir, je me sens affreusement mal, terriblement coupable d'écrire une chose pareille, mais c'est la vérité. La dernière fois, en 20 minutes, il a répété 12 fois qu'il avait mal. Je ne sais que répondre, que dire. Les médecins disent c'est normal. Je ne sous-estime pas la douleur mais je regrette l'absence de combattivité. Je suis peut-être injuste, méchante aurait dit ma mère. Depuis toujours mes grands-parents se complaisent dans la maladie, les douleurs, les docteurs. Ils ont la migraine, ils vont aux urgences. Ils ont une bronchite, ils appellent les pompiers. Leur rapport à la maladie a toujours été extrême, et depuis que la maladie elle-même est devenue extrême, leur négociation de celle-ci est surextrême. Décuplée. Multipliée. Je ne sais pas gérer ces comportements, je les ai toujours détestés. Ces attitudes complaisantes, moribondes, viciées qui sentent la morphine et la fin.
C'est la tempête dehors, dedans. Des dissensions avec ma mère apparaissent, dans un spirale dépressive intense. Ma soeur me parle toujours comme si j'étais une débile profonde "bah tu sais il faut bien 20 minutes pour aller au cinéma" "tu sais l'eau si elle reste trop longtemps dans le plastique, elle n'est plus bonne à la consommation". Sur un ton affligeant, genre t'es une demeurée de littéraire et moi je fais physique-chimie. Mon cousin collant collée à sa maman et qui n'a pas le courage de vivre seul, son oedipe ne s'est jamais terminé.
Je n'arrive pas à préparer mon voyage, je suis impatiente de partir tout en me disant que ça ne résoudra rien. Je n'arrive pas à être excitée. Je ne me sens pas sereine. J'ai pleuré car personne ne m'aidait pour savoir comment changer l'argent avant de partir, ni combien je devais prendre. J'ai pleuré pour ça. Et encore je ne pense même pas à mon chat, sinon je m'effondre. Limite du burn out presque atteinte. Plus de recul, plus de distance, les émotions me submergent, me prennent, m'embrassent, m'enlacent.