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Revoir un Printemps
19 janvier 2015

Dernière démarque

Sur le blog de Brick à Book, Leiloona organise des ateliers d'écriture. Cette semaine, une photo de Romaric Cazaux m'a inspiré le texte qui suit.

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Sur la page, des tenues pour bébés, culottes, bodies, colorées et mises en avant dans une vitrine, dans une autre ville, loin d'ici. Remises exceptionnelles. Le soleil avait atténué les couleurs du papier glacé. La page était déchirée, froissée, vieillie. Malmenée par le vent et amenée jusque dans ce camp de fortune. Zora n'aurait jamais de nourrissons qui porteraient ses jolies tenues, riant sous le soleil éclatant. A tout juste 16 ans, elle avait déjà donné naissance à trois enfants, à peine nés et aussitôt enlevés.
Elle-aussi avait été enlevée il y a longtemps, en errance depuis dans le désert brûlant de la Syrie, violée sans cesse depuis l'âge de 13 ans, ses enfants avaient plusieurs pères. Des soldats, des guerriers de la religion, des fanatiques.
Elle n'était ici, comme la plupart des jeunes femmes, que pour procréer et soulager ses bourreaux. Quelques femmes plus âgées étaient là comme nourrices, distantes et aigries, elles n'apportaient aucun amour aux nouveaux-nés.
Les garçons qu'elle mettait au monde étaient éduqués dans le seul esprit de destruction et de lutte. Ils étaient des futurs soldats de Dieu, prêts à mourir pour cet idéal et à tuer tous ceux qui ne partageaient pas cet avis. Des enfants sans bonheur, sans libre-arbitre.
Si c'était des filles, la plupart étaient tuées. Elles étaient l'incarnation du Mal, le péché primitif. Les rares qui survivaient étaient élevées dans le but de les remplacer, elle et les autres jeunes femmes.

Si Zora était prise avec ce morceau de magazine, ce bout d'Occident, cet espoir, elle serait sans aucun doute battue et fouettée. Pour avoir rêvée, pour avoir ne serait-ce qu'imaginée. À chaque grossesse, elle avait espéré mourir en couches, mais la vie était restée en elle. Le paradis était forcément là, après la mort, vu qu'elle vivait en enfer depuis des années.

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Commentaires
S
Outch... j'ai pris une claque. <br /> <br /> C'est terrible ce que tu écris mais terriblement vrai, aussi.
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V
C'est un texte déchirant, qui nous rappelle tristement que ce monde, ce quotidien, cet enfer existe "vraiment".
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M
Je rejoins les autres pour dire aussi : très beau texte, très d'actualité malheureusement... bravo.
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Z
@ Tous : merci pour vos messages, je pense que l'actualité m'a pas mal fait cogiter, ces Zora font partie des victimes dont on ne parle pas beaucoup...
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A
Effectivement l'actualité ajoute à ton texte...
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L
Je ne peux que penser à l'actualité en lisant ce texte ... :/
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J
Bravo et merci pour ce texte. Pour répondre à Dorsi 77, des filles de France partent là-bas, aussi, et elles deviennent des Zoras.
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P
Ce qui fait le plus mal, c'est de penser qu'il existe vraiment des tas de Zora dans le monde.
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T
Ton texte résonne terriblement avec l'actualité et nous rappelle la terrible réalité de ces jeunes femmes. Bravo pour ce texte coup de poing.
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S
C'est magnifique de noirceur.
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