Le petit soldat de plomb s'est fait écraser et a eu la tête piétinée
Soupir. Très long soupir. Les pleurs sont là tous proches,
les sanglots coincés dans la gorge, les larmes retenues par les barrières de
mes yeux. Je vais craquer. Comment expliquer, comment décrire. Peu de mots
peuvent me secourir, j'ai bien peur que ce soir même les vôtres ne me sauvent
pas. Ca y est, je pleure, l'écran devient flou et ma vue se brouille. Je pense
à elle, seule dans sa chambre qui doit pleurer. J'arrête de taper un instant et
à travers la porte, j'écoute mon gros père rouge de haine et de colère se
moquer de nous, nous détruire, nous haïr. J'ai toujours cru que j'étais contre
eux, parents & soeur alliés. Finalement je me rends compte que c'est eux
qui sont contre nous. Et moi qui refusais l'alliance. J'ai les mains qui
tremblent et la respiration qui se bloque. Ce soir fut vraiment éprouvant. Des
paroles monstrueuses, blessantes, insultantes, dégradantes. Non, je n'exagère
pas, non je rêve pas, non ce n'est pas un scénario d'un mauvais téléfilm. La
réalité. Envers moi. Envers elle. Moi je suis plus forte, elle je la sais
faible. Je sais qu'elle doit pleurer, mais surtout qu'elle ne comprend pas.
N'importe qui m'appellerait, je fondrais encore plus en larmes au téléphone. "Atmosphère
tendue volcanique".
Je voudrais raconter les évènements de ce soir avec précision mais tout est si
trouble, si confus. J'ai une boule dans le ventre, envie de leur vomir dessus.
A mes géniteurs qui hurlent depuis 1h la mauvaise idée qu'ils ont eu de faire
des gosses. Hé ouais c'est comme ça mes cocos, vous avez baisé c'est pour en
chier. Fallait pas niquer ensemble. Ils me dégoûtent. Je suis dégoûtée de
moi-même. Je n'aurais jamais du naître, ils auraient été heureux, petit couple
de merde.
Oui je suis vulgaire, ça ne me fait même pas de bien. Les paroles de ce soir
resteront gravées à jamais. Comme la fois où il a essayé de m'étrangler. Je ne
fêterais pas mes 20 ans. Je me bourrerais la gueule et c'est tout. Je ne veux
pas de vos cadeaux empoisonnés, de vos "joyeux anniversaire ma puce, on
t'aime quand même" malgré ce qu'on te dit. Malgré tout. Plutôt mourir.
Ils rient. Je les entends rire dans le salon, tous les deux. Après la haine. Le
rire. Comme c'est dégradant, humiliant. Pour nous. D'être réduites à rien. Nous
ne sommes plus rien pour eux. Des reproches, des milliers de reproches sans
cesse quoique nous fassions. "C'est pas comme ça mais vraiment tu fais
n'importe quoi, si t'écoutais ce que MOI je dis, t'aurais réussi." Toujours
ce même genre de phrase à notre égard. Demain je pars quelques jours chez mon
oncle. Savoir que ma soeur va devoir traverser toutes ses journées - notamment
celle de la rentrée - seule avec eux. J'ai mal. Je l'appellerais.
Finalement avec les quelques minutes de recul sur la situation, ce qui s'est
passé ce soir est terrible. Mon père nous a descendues au rang de chiens, de
médiocrité humaine. J'ai failli me prendre un saladier dans la gueule et un
coup de baguette (de pain) sur la tête. On a failli me prendre par la peau du
cul pour aller répondre à ce putain de téléphone. Parce que j'avais dit que non
je n'irais pas répondre parce que je ne pouvais pas marcher. Je lui ai tenu
tête. Non, prononcé son regard noir de rage dans le mien d'arrogance. Pas
longtemps. Puisque après j'ai fermé ma gueule et l'ai laissé déblatérer sur
notre condition. Pauvre con. J'ai pitié de nous, d'elle et moi. Si j'étais une
personne extérieure, je nous aiderais. Seulement personne ne nous voit, ne nous
aide. Ma soeur prie pour se retrouver en internat et moi je ne retournerais
jamais dans ma famille. Explosion. Destruction. Les larmes reviennent. Ils
auront réussi à bousiller la famille et nous accuserons. La culpabilité finira
par nous ronger. Je sens qu'il n'y a pas d'issue. Que malgré tout, ça se finira
comme ça. Parce qu'ils se croient parfaits. Jamais rien à se reprocher, pas
d'autocritique. Seulement des reproches envers nous, nos actes, nos pensées,
nos gestes et même nos rêves. "Toi, tu veux faire du cinéma ?!
Franchement tu crois que t'y arriveras, faut pas rêver, t'es trop nulle pour
ça, tu fais rien, jamais. T'as jamais rien fait de tes 10 doigts. JAMAIS. Et tu
feras jamais rien."
Ce fut ça. Des phrases comme celle-ci et pire parfois. Envie de n'avoir
jamais existé. Je les déteste de me faire tant de mal. J'ai besoin d'aide. Je
ne sais pas. Trop mal de voir qu'ils me détestent, qu'ils ne sont pas fiers de
moi, que je les déçois sans cesse puisque je n'obéis pas à leurs lois. Je ne
sais pas pourquoi je pleure. Parce que j'ai mal ? Parce qu'ils sont entrain de
tout détruire ? Parce que je vais craquer ? Parce qu'elle est seule dans sa
chambre et qu'elle est faible ?
Je n'ai pas mangé. Je les ai regardé. Ca a du encore plus les énervés. Ca a du
aidé à déclencher la tornade.
"Vous nous gâchez toujours tous nos bons moments. Tous ça parce qu'on a passé
une journée sans vous, vous nous le faites payer. Vous croyez quoi, que c'est
parce que vous avez épluchés 3 petites patates qu'on va vous être
reconnaissant. Faudrait vous regarder dans une glace un peu et vous demandez ce
que vous avez fait jusque là. Nous on vous donne tout. Tu entends TOUT. Vous
vous prenez la gueule ouverte. Et vous nous donnez quoi en échange ?!! Rien.
Jamais RIEN. A ça vous servir de la télécommande vous savez mais utiliser vos
doigts à autre chose, vous savez pas."
J'aurais ma 3ème année juste pour leur montrer que je suis capable de faire
quelque chose. Je me trouverais un bon, non un EXCELLENT stage pour leur
montrer que je suis utile à des gens autre qu'eux. Je trouverais du taf
quoiqu'il m'en coûte juste pour leur montrer qu'ils avaient tort. Je leur
rembourserais ces 3 années de loyer qu'ils me payent si généreusement. Et puis
je tirerais un trait. Et ne les reverrais plus jamais. Non, je ne vais pas
bien. J'ai peur de pleurer trop fort et qu'il m'entende et qu'il se moque de
moi encore, ou pire qu'il vienne me dire que "bon maintenant ça suffit
tes pleurs à la con". Entendue cette phrase trop de fois. Mal dans la
poitrine. Les larmes ne se calment pas. Au contraire. Mal à la tête. Je me sens
petite, minuscule. Je vais faire le cd que ma sœur m'a demandé, je lui
apporterais. Je verrais comment elle va.
C'est dur. Je n'aurais jamais imaginé
qu'un jour se fut si dur. La fenêtre est ouverte. Envie de sauter. Envie que
quelqu'un me serre dans ses bras et me disent que ça n'était qu'un cauchemar.
J'me sens si vide et j'ai si froid. Un peu comme si j'étais morte quelque part.
Glacial.
"Tu as vu comme
t'es ? Et après tu crois que j'ai envie de venir avec toi au stade ?!!! Non
mais faut pas rêver non plus !"
Tout remonte. Tout ce qu'il m'a dit. La peine, la haine, le
désespoir, je ne sais plus très bien. Tout me submerge. Je vais me noyée. J'ai
quelques bouées mais elles sont loin ce soir. Je suis seule dans mon naufrage.
Seule.
Ce soir, je ferais un virement sur leur compte pour leur
rembourses les rares et quelques euros qu'ils m'ont prêté cet été. Je ne veux
rien leur devoir. Je sais que je leur dois déjà trop et ça me rend malade. J'ai
les yeux rougis, ils me brûlent, la lumière de l'écran dans le noir et mes
pleurs. Ça me pique. J'me sens faible.
Elle vient de venir, elle va bien. Mieux que moi c'est
certain. Demain, je ne les verrais pas. On va se quitter sur cette scène. C'est
comme ça. Demain ils auront oublié, moi pas. C'est comme ça. Demain je leur en
voudrais encore, ils ne comprendront pas. C'est comme ça. Une sorte de fatalité
contre laquelle on ne peut pas lutter.
Les bruits de la nuit emplissent ma chambre, je n'ai plus
rien à écrire, ma tête est vide de mots. Mes doigts tapent n'importe quoi sur
ces dernières lignes. Alors j'arrête là, je rejoins mes démons.