It's over
Décidément, je n'aime vraiment pas les fins. Justement parce que ça se termine.
Avant j'étais pas comme ça, quand je lisais un livre, je faisais mine de tomber par hasard sur la dernière page pour savoir comment ça finissait, discrètement.
Maintenant, j'voudrais garder le livre toujours ouvert, le film toujours sur play, pour pas que ça s'arrête. J'aime pas les histoires qui s'arrêtent.
Ce matin, j'ai fini Rien de Grave. J'aurais du arrêter avant la fin pour avoir la sensation que le livre était pas fini. Mais l'illusion n'aurait pas durée puisque malgré moi j'aurais voulu avoir, savoir, lire les derniers mots. Une histoire ne devrait pas avoir de fin.
Je dis ça, je dis ça mais pourquoi je lis toujours les livres trop vite alors. Je devrais préserver, jouir du moment, retarder l'échéance. Au contraire, je lis, j'avale, j'engloutis les lettres, les mots les phrases et les pages, et le livre se finit, je le referme, le range sur une étagère ou par terre, et je passe à un autre.
Pourtant, je crois que je vais trop vite, envie quasi immédiate de le recommencer, l'impression d'avoir raté quelque chose, un chapitre, peut-être pour que ça renaisse. Je ne le ferais pas, j'en commencerais un autre.
Un autre voyage, une nouvelle parenthèse. Rien de grave, finalement.
"A la fin je prenais les gélules par trois, par cinq, par sept. Je les mélangeais. Je raccourcissais les délais. Trois Dinintel et deux Survector toutes les trois heures, juste pour pouvoir exécuter, mécaniquement, les gestes quotidiens qu'on fait d'habitude sans y penser, pour tenir, pour me doucher, pour acheter le pain, pour affronter les autres, tous les autres qui me faisaient de nouveau peur, peur comme avant, avant d'en prendre. Car le but, maintenant, c'était d'être capable, juste capable, de faire semblant. Mais les superpouvoirs, la lucidité, l'intelligence, mon père dans ma tête, tout ça, c'était fini, je n'y avais plus accès, les amphétamines m'avaient ouvert puis refermé les portes du monde et je recommençais, comme avant, à avancer sur la pointe des pieds, en m'excusant, en ayant toujours l'impression de déranger, en ayant toujours peur de dire des bêtises, et toujours peur qu'Adrien me quitte. Le déguisement ne me déguisait plus et sans le déguisement je n'existais plus du tout, c'est quoi un déguisement s'il n'y a personne en dessous ?"
Justine Lévy, Rien de grave, 2004