Le coup de fil
Samedi,
midi et des poussières, j’entrouvre les yeux, je devine le temps gris
de dehors à travers le store. Je lui avais dit que j’allais faire des
courses en ville mais finalement je n’irai pas, j’en ai pas envie. La
télé diffuse son lot de conneries habituelles alors que je lui écris un
message quand il m’appelle.
- Ma chérie, c’est
moi, je viendrais pas aujourd’hui. Je viendrais pas avant une semaine
au moins, voir plus.
Evidemment, je réagis mal et lui raccroche au
nez. Je pense qu’il veut plus me voir, que c’est mort ça y est ; en un
quart de seconde je me fais tous les films possibles et inimaginables.
J’envoie un texto, il rappelle.
- Ma
chérie, j’suis à l’hôpital j’ai un accident de moto. J’arrive à joindre
personne, j’voulais pas te le dire. Je voulais pas t’inquiéter.
C’est
incroyable à quel point je me sens mal, à quel point j’ai honte, à quel
point je m’en veux. Le coup de fil est là, celui qu’on veut pas
recevoir, celui auquel on ne veut pas répondre, celui de la souffrance
et des urgences.
L’impression que tout
s’écroule d’un coup, je balbutie quelques mots, il me demande d’appeler
moi, de les prévenir, il ne me dit pas ce qu’il a mais à travers sa
voix, je sens qu’il a mal, je crois qu’il pleure un peu aussi. Là tout
se passe très vite et tout est un peu flou ce soir. J’ai appelé, je me
suis préparée, on est venu me chercher, plus de 2h d’attente aux
urgences avant d’avoir des nouvelles, avant de savoir, plus de 3h
d’attente pour enfin le voir.
Il est pâle, couché, le jeans découpé,
la jambe bandée pleine de sang. C’est la première fois que je le vois
comme ça, si faible. Je prend un coup.
Plaie ouverte à la jambe
droite, points de suture, hématomes et tout ce qui va avec. Rien de
grave maintenant qu’on sait, maintenant que je le vois. Mais la peur a
été là, j’me sens nauséeuse. On rentre, avec tout ça, tout le monde est
au courant qu’on sort ensemble. Seul point positif de la journée. On
s’est caché pour rien, on s’est pris la tête à se demander comment
l’annoncer parce que ils s’en doutaient tous et ça leur fait rien !
Je
suis un peu restée avec lui, puis j’ai fini par le laisser dormir. Je
suis rentrée, me suis engouffrée dans une douche brûlante. Assisse au
fond de la baignoire, l’eau qui ruisselle sur mon dos, je regarde mes
jambes et vois des plaies qui n’existent pas. Elles saignent, j’ai mal
enfin je crois avoir mal. Et la je comprends ce que c’est qu’être
proche de quelqu’un. J’ai mal à sa place, en même temps que lui, je
ressens la douleur. Certainement moins forte que lui mais je la sens
quand même quoiqu’il en soit. C’est une étrange sensation.
Je suis retournée passer la nuit avec lui, un dimanche gris à suivi oscillant entre lit et canapé.
Retour
chez moi, seule, c’est devenu rare, y manque un bout de moi. C’était un
peu surréaliste ce week-end, à la fois bien et terrible…