Transmission
Depuis que mamie est décédée, j'ai envie de replonger dans le passé. J'ai regardé des photos d'eux, mes grands-parents, souriants et élégants, et vraiment plein d'amour l'un envers l'autre. Papi me manque toujours. Et je ne pensais pas que Mamie me manquerait aussi. En voyant les photos, je suis frappée par la terrible différence entre la personne qu'elle était en 2019 et celle qu'elle est rapidement devenue après 2020 et sa première année en Ehpad..... Je savais que c'était elle, assise dans ce fauteuil, à moitié présente et son esprit déjà en train de vagabonder ailleurs ; je savais que c'était elle, et pourtant, c'était si loin d'être elle. Sa fin a duré plusieurs mois mais tout avait commencé depuis au moins 2 ans, elle était peu à peu en train de disparaître. Peut-être parce qu'elle était la dernière représentante d'une génération, son départ m'a donné l'envie, le besoin de reprendre mon étude généalogique.
Commencée – très légèrement – il y a 7 ans lors de ma thérapie EMDR, j'avais procédé à plusieurs recherches vers 2018 après un voyage de mes parents en Italie, dans le village d'origine de mes grands-parents. Une fois qu'on entre dans ce monde passé qui nous relie à nos ancêtres, on est véritablement attiré par ces recherches. On remonte le temps, on déchiffre les registres d'état civil aux belles lettres cursives, on tente de combler les vides, de trouver les dates manquantes, les informations perdues. On s'interroge sur ces personnes qu'on ne connaît pas mais qui forment notre passé, se dire qu'on descend de ce cultivateur italien, de ce lointain ancêtre immigré en Amérique. Se demander pourquoi on ne trouve pas d'acte de décès de cette arrière-arrière-grande-tante qui aurait dû décéder dans sa ville de naissance. Est-elle partie avant sa mort ? Bien des pourquoi dont nous ne connaîtrons jamais la réponse. Etudier, observer des photos rongées par le sel et l'humidité, ignorer qui se trouve dessus et pourtant vouloir le savoir à tout prix. Croiser ces regards à une époque où la photo n'était pas un produit de consommation jetable, où elle avait un sens et un coût. Cette jolie jeune femme, que je sais italienne, a-t-elle été mariée ? est-elle morte jeune ? Chercher, fouiller, gratter. Prendre notes des anecdotes de personnes disparues dont ma mère et mon père sont aujourd'hui les dépositaires. Avoir envie de transmettre ce passé. Pour qu'il ne soit ni perdu, ni oublié. Comme un défi aussi. Est-ce possible de remonter plus loin que 1720 ? Débloquer enfin les branches qui restent hermétiques à mes recherches. Combler les manques, surtout des branches étrangères. Quand on sait que plus de la moitié de mes arrière-grands-parents viennent d'Italie, la tâche s'annonce assez compliquée. Savoir que toutes ces personnes, ces 280 individus, m'appartiennent, sont mon passé, me semble vertigineux et paradoxalement, très rassurant.
Une fois que l'on a goûté au plaisir de la recherche généalogique, il est très difficile de s'en passer. On est comme englouti par ces milliers de pages à examiner, toutes ces photos dans des enveloppes déchirées, on sombre dans un torrent d'informations, de données, de personnes. La puissance fascinante du passé pour mes ancêtres mais aussi pour des inconnus. Lire ces états civils et ressentir la vie de tout un monde aujourd'hui disparu, prendre le temps de déchiffrer au hasard un acte de naissance, celui de Juliette Rebuffel née en avril 1893, une publication de mariage, un acte de décès, Roux Antoine en 1863. Alors que la pluie tombe dru, que l'automne me donne envie d'un retour en enfance, un retour aux sources, un retour à un monde d'innocence et d'insouciance, je songe à ce passé presque envolé et m'efforce de le rattraper, afin de mieux comprendre ma famille, savoir qui on est et d'où on vient, pour se tourner vers l'avenir.