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Revoir un Printemps
14 novembre 2004

Orage Libérateur

Léa n'obéit pas à sa mère et n'alla pas dans sa chambre. Elle se précipita dans le jardin,traversa la cour et, en courant, coupa à travers les vignes en direction de Bellevue. Pour éviter  de passer devant la maison de Sidonie, elle escalada le mur qui bordait la propriété, prit la route poudreuse, puis le sentier qui montait au calvaire. A mi-chemin, une bourrasque tiède et humide la força à ralentir sa course puis à s'arrêter.

Les mains croisées sur sa poitrine comme pour compenser les battements de son cœur, elle contempla, peu à peu subjuguée, le ciel menaçant au-dessus de la plaine. Tout autour d'elle, la nature courbée par un vent de folie se tordait, gémissante et rebelle, comme pour échapper à la tempête qui venait de la mer. Seconde après seconde, le ciel s'obscurcissait, dévoilant des nuages aux formes effrayantes.

Léa, les cheveux soulevés et agités par l'ouragan, tels les serpents de la Gorgone, contemplait immobile ce déchaînement qui apaisait le sien. Elle sentait passer en elle le frémissement de la terre qui, sous les chaudes gouttes de la pluie commençant à tomber, libérait peu à peu de lourds parfums qui montaient à la tête, la saoulant plus sûrement que le vin le plus subtil. Sa robe plaquée, rapidement mouillée, soulignait son corps la rendant pis que nue, tandis que le vent durcissait la pointe de ses seins. Les éléments en fuir l'enlevaient à elle-même. Un éclair bleu déchira les nues suivi presque immédiatement d'un coup de tonnerre qui ébranla le sol. Léa hurla. Une joie primitive éclairait son visage sur lequel, telles des larmes, coulait la pluie. Un rire sauvage et libérateur monta en elle et éclata, accompagnant le bruit de la foudre. Le rire devint cri, cri de triomphe et de bonheur d'exister. Elle se laissa glisser sur la terre du chemin que la pluie transformait en boue. Ses lèvres s'enfoncèrent dans la masse molle. Sa langue lapa cette glaise dont le goût lui parut charrier toutes les effluves de Montillac. Elle eût voulu que ce sol s'ouvrit et se refermât sur elle, la digérant afin de la faire revivre dans la vigne, dans les fleurs, dans les arbres de ce pays q'elle chérissait. La jeune fille roula sur elle-même, offrant son visage barbouillé à l'eau du ciel.

 

extrait de La Bicyclette Bleue, volume 1 de Régine Deforges

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Commentaires
Z
de rien, le livre entier est génial mais j'aime cet extrait où les éléments se mêlent à la douleur humaine.<br /> je mettrais d'autres extraits ;)
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M
J'ai toujours adoré cet extrait.<br /> <br /> Tellement.. Vrai.<br /> <br /> Merci :)
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